L’ARRIMAGE À LA MONDIALISATION
L’avenir des élites
24 Avril 2008 - L'Expression
Il reste à endiguer le processus d’exode des compétences qui continue de priver le pays des compétences de haut niveau nécessaires pour accélérer son progrès socio-économique.
Tout le monde le sait, mais peu arrivent à le mettre en application: sans l’élite universitaire, point d’avenir. L’Algérie, malgré des retards, des insuffisances et contradictions, dispose d’un potentiel d’élites qui attend d’être mobilisé et valorisé. Notre pays peut s’enorgueillir des résultats quantitatifs atteints dans le domaine de l’enseignement supérieur, quand on sait qu’il ne comptait pas plus de 2500 étudiants, au lendemain de son Indépendance, et qu’il enregistre pour la rentrée universitaire (2007-2008) plus d’un million d’étudiants.
Ces résultats sont le fruit d’un effort important du pays, qui dépense, dans ce domaine, par étudiant, l’équivalent de 140% du revenu par tête d’habitant, alors que ce ratio est de 40% en moyenne pour les pays les plus développés. L’effort d’investissement a été et reste important dans le secteur de l’enseignement supérieur qui compte un réseau de 70 institutions universitaires, composé de 18 universités, de 13 centres universitaires et de 29 écoles et instituts supérieurs spécialisés, répartis entre 33 villes universitaires sur les 48 chefs-lieux de wilaya que compte le pays. Nos efforts ont été dirigés vers la formation des enseignants, dont l’effectif ne suit pas, en nombre et en qualité, l’évolution des effectifs d’étudiants. Cette évolution a été également permise par la prise en charge par l’Etat de l’hébergement de la moitié des étudiants dans un réseau de 110 résidences universitaires réparties dans les villes universitaires. Sans ces efforts, une grande partie des étudiants venus de régions éloignées n’aurait pas pu accéder à l’enseignement supérieur. Le souci majeur actuellement est de dépasser les objectifs quantitatifs en matière de formation. La quantité doit être canalisée pour s’arrimer à la qualité. Que faire? Réformer la politique et sortir du système rentier. Un effort particulier est dorénavant attendu pour l’amélioration de la qualification des diplômés qui sont appelés à exercer dans tous les secteurs d’activité évolutifs et à servir d’exemple, en tant que citoyens compétents et responsables, dans une société assoiffée de connaissance. L’accès à l’université est garanti pour tous, en fonction de leur mérite. Ce principe a été et reste un des fondements de la politique de l’enseignement supérieur en Algérie. Mais il découle que nous consacrons 45% du budget alloué à l’enseignement supérieur pour la couverture des besoins d’hébergement et de restauration des étudiants. C’est à ce prix qu’une grande majorité d’étudiants, issus de milieux classés défavorisés, a pu accéder aux études supérieures. Cependant, le niveau et la qualité de l’enseignement restent le grand souci.
Le qualitatif, objectif majeur
Les transformations en cours donnent à l’université une certaine autonomie administrative et financière, c’est une opportunité pour passer à une vitesse supérieure. Car en contrepartie, elle redevient comptable de ce qu’elle reçoit et de ce qu’elle produit. Les critères de performance, en référence à l’expérience internationale, doivent être élaborés pour toutes ses activités qui restent principalement un service public. Celui-ci est renforcé et diversifié par une loi d’orientation de l’enseignement supérieur consacrant par ailleurs les principes d’autonomie et de déontologie qui régissent le fonctionnement de l’université comme espace de liberté et d’ouverture sur son environnement intérieur et extérieur. Aujourd’hui, l’élite universitaire du pays se plaint d’être marginalisée sans considération conséquente et ne participant pas assez à la vie du pays. Sans une Université performante, il n’y aura pas de société du savoir, en matière d’acquisition et de transmission des connaissances les plus avancées et à la formation d’une société développée, responsable, compétente et cultivée. Au-delà des aspects financiers et de l’autonomie financière, l’université doit garder son sens critique pour promouvoir les valeurs universellement acceptées et s’articuler au monde du travail et aux besoins sociaux, en maîtrisant l’adéquation formation -emploi, sans se transformer en centre de formation professionnel, ou en antichambre des idéologies des appareils des pouvoirs politiques, marchands ou partisans. Durant plus de trente ans l’université était subordonnée au système unique et aux exigences de l’administration planifiée. Depuis 1990, dans le cadre des réformes, et en 2008, elle se cherche un chemin entre les exigences et contraintes de l’économie de marché, celle de la mondialisation et les aspirations nouvelles de la société qui aspire à la bonne gouvernance et à la modernité sans succomber à l’oubli des valeurs propres.
Car la question centrale du projet de société relève d’abord de la responsabilité des élites du savoir et de la connaissance. Malgré les turbulences politiques que le pays a connues, et une relative marginalisation de ses élites et missions, l’Université a su garder confiance et renforcer sa fragile impartialité politique. Elle a pu fonctionner en dépit des pressions des uns et menaces des autres qui ont pesé sur elle. Espace fragile de liberté académique, l’Université algérienne est à la recherche d’un nouveau souffle. Avec l’aide et la collaboration des élites de la diaspora elle peut sortir de ses difficultés. Dans le cadre de la mondialisation en oeuvre, la conception sous-tendue par la notion d’exode, mériterait d’être revue afin que la mobilité des compétences ne soit pas à sens unique et que la coopération internationale trouve les moyens d’inverser cette tendance en faveur des pays en développement. Des formules de partenariat périodique ou à distance pour bénéficier des compétences algériennes à l’étranger sont possibles. Car le processus de mobilité des compétences, reste un problème pour les pays du Sud. Dans ce sens, un portail-site sera mis en place par mes soins et une équipe de chercheurs, pour servir d’interface et de relais, assurer la circulation de l’information, les passerelles et les synergies, comme je l’ai annoncé à la conférence mensuelle du Reage, Réseau algérien des diplômés des grandes écoles et universités en France.
De la place de l’élite dépend l’avenir du pays
La recherche scientifique peut se développer dans notre pays, elle a fait l’objet d’une loi d’orientation particulière promulguée en vue de redonner à cette activité l’importance qui lui revient en matière de participation au développement économique et social du pays. Par le passé, le budget alloué à cette activité n’a pas dépassé 0,18% du PIB, une nouvelle loi sur la recherche scientifique vient de le porter à 1%, avec un budget record de 1miliard et 300 millions de dollars, concernant 33 domaines. Reste que l’environnement est en perpétuelle transformation, et la recherche ne peut se développer sans apports extérieurs. Notre université n’est plus isolée du monde. Elle a développé de nombreux accords de coopération avec un grand nombre d’universités et de centres de recherches du monde. Ces accords, malgré la bureaucratie et les difficultés, permettent à nos enseignants et chercheurs de tenter de demeurer en contact avec l’évolution des connaissances scientifiques. Ces efforts seront élargis, si le principe des réseaux se multiplie.
Un déficit en matière de coordination entre le secteur de l’enseignement et celui de l’économie est connu, alors qu’une relation directe entre la dynamique économique et celle de l’enseignement supérieur a été prouvée, puisque les wilayas qui ont un nombre de création et de développement de nouvelles PME/PMI, sont celles où il y a le plus grand nombre d’étudiants. Les prévisions à long terme concernant le nombre d’étudiants font état de 1,5 million à l’horizon immédiat -2010. Quant aux objectifs visés par le plan national de la formation supérieure, ils consistent en une meilleure répartition des infrastructures universitaires à travers le territoire national pour favoriser la croissance économique des régions. Cependant, la gestion et le management efficients des structures et moyens restent déficients; un plan spécial de formation des agents et cadres de maîtrise attend de voir le jour. L’amélioration du niveau de l’enseignement reste l’objectif majeur. La mise en place d’une grande université pluridisciplinaire dans la nouvelle ville de Sidi Abdellah, près d’Alger, avec les meilleurs chercheurs et enseignants, en vue de fournir aux établissements universitaires un espace d’émulation, sera un acte qui pourra contribuer à l’amélioration de la qualité. Un autre objectif visé par le plan pour assurer la qualité, c’est de créer une corrélation entre l’enseignement supérieur et les différents secteurs de la vie économique, culturelle et sociale du pays pour définir et appliquer une stratégie de développement durable et continue. C’est dans cet ordre d’idées, que j’ai créé en 1989, l’UFC, avec l’accent sur de nouvelles filières liées à l’économie de marché. Management, finances, sciences commerciales, gestion des ressources humaines, sont des disciplines généralisées dans les universités au début des années 1990.
Les performances de la formation à l’étranger sont importantes. L’Algérie a aujourd’hui plusieurs milliers de diplômés en formation post-graduée à l’étranger, dans nombre de filières scientifiques. L’accès aux établissements et réseaux de la science internationale compte parmi les éléments qui contribuent à la transformation qualitative et professionnelle des enseignants. Les actions de formation à l’étranger et le développement progressif de la recherche localement, favorisent l’insertion des universitaires algériens dans le champ scientifique international. Cet accès avait existé durant la période précédente, mais une évolution, survenue à la fois dans le champ universitaire algérien et le champ scientifique international, en transforme la signification.
Antérieurement, les universités sont dominées par l’activité d’enseignement, et, de par les traumatismes dus au système unique, manifestent une tendance à l’autonomie à l’égard de l’environnement politique, économique, mais corrélativement, elles subissent une forte dépendance dans leur rapport au système bureaucratique et rentier.
Il reste donc à endiguer le processus d’exode des compétences qui continue de priver le pays des compétences de haut niveau nécessaires pour accélérer son progrès socio-économique. Il faut s’employer à promouvoir la reconquête des compétences par des programmes incitatifs de collaboration qui, grâce à leur dimension internationale, favoriseront l’expertise pour la mise en place des filières des nouveaux métiers, le renforcement du management moderne des établissements et la pleine utilisation des capacités endogènes. Cela se fera sans doute au fur et à mesure de l’ouverture démocratique inéluctable malgré toutes les entraves propres aux pays arabes et aux obstacles dus au contexte international qui ne favorisent ni l’émergence de nouvelles élites nationales, ni le retour de la diaspora. Un des atouts des élites algériennes installées à l’étranger, qui restent profondément attachées à leur patrie, est leur double culture, leur connaissance pointue de la dimension évolutive des métiers, leur aptitude dans le management des entreprises et multinationales. Ils sont des traits d’union pour une gestion scientifique qui tienne compte à la fois, du know-how, des nouvelles techniques et des valeurs propres à leur société d’origine. De la place de l’élite, au sommet de la pyramide, sans élitisme, dépend l’avenir du pays.
(*) Professeur des Universités
www.mustapha-cherif.com
Mustapha CHERIF (*)