C'est une véritable crise de l'emploi, complexe et multidimensionnelle qui s'exprime à travers le chômage, seul symptôme qui en est suffisamment médiatisé, faute semble-t-il, pour complèter l'analyse économiste, d’une analyse psychosociologique. Ce qui incite à interroger les notions de chômage/chômeur, avant peut être de les appliquer à toute la population des «sans travail, en âge de travailler», c'est-à-dire en âge (16 ans, selon la loi) d'exercer une activité salariée ou plus précisément une activité lucrative régulière (juridiquement). Pour les statisticiens, c'est essentiellement l'aspect «recherche de travail» qui constitue le lieu de définition le plus approprié, à travers les vocables de «demandeur d'emploi» ou «disponible pour travailler» ; c'est seulement dans le cas où le marché de l'emploi serait tel que la demande de travail ne pourrait pas s'exprimer à travers les canaux formels, que la demande de travail ne pourrait pas s’exprimer à travers les canaux formels, que la notion de chômage s'appliquerait à toute la population non "employée (ou mieux, non-salariée); un quotidien national1 rapporte que l'ANEM (ex ONAMO), enregistre seulement 14 % de demandeurs d'emplois, par rapport au total des «sans-travail». On préfère parler de «demandes reçues» pour ne pas risquer l'erreur en ne tenant pas compte des distorsions du marché de l'emploi (inefficience des circuits de prise en charge de l'information et de la demande).
Le désastre est si profond en matière d'emploi et partant, social, qu'on a du mal à croire les statistiques et informations qui le dévoilent après vingt années de camouflage du sous-développement (chômage déguisée, prix déguisés, incompétence déguisée, etc.), à force de mesures administratives antiéconomiques, de désinformation et de renversements axiologiques. C'est ainsi que la situation va présenter, entre autres:
-- Une population active quantitativement et qualitativement suffisante. Evaluée à environ 5.600.000 personnes2, elle représente 22 % d'une population totale de 25 millions d'habitants; en Belgique, elle est à hauteur de 43 % et de 47 % au Portugal, 49 % en Angleterre, jusqu'à 50 % aux U:S.A. et au Japon. Cette faiblesse du taux d'activité de la population algérienne est due à la jeunesse de la population en général, de l'Algérie. Qualitativement, il suffit d'indiquer que celle-ci compte 8 millions d'analphabètes.
-- Une population occupée, aussi faible corrélativement, que la population active. Avec près de 4.500.000 personnes, elle représente 18 % de la population totale qui se répartissent pour 22 % dans le secteur du BTP et travaux pétroliers, 18,5 % dans celui du commerce et des services, 18 % dans l'agriculture et 9 % dans les transports et communications, le reste se trouvant dans l'industrie de transformation et production. Ce sont donc à peine 50 % de la population occupée (y compris agricole), soit 2 millions seulement qui produisent pour 25 mitions. A considérer les taux d'occupation Français (43 %), Américain (47 %), et Japonais (50 %) ou Danois (56 %), on mesure tout le travail, c'est le cas de dire, qui reste à faire. Au plan de la qualification professionnelle, pour mesurer la qualité de la main-d’œuvre, il est remarquable 3 que pour 3,2 % d'universitaires et 8,2 % justifiant du niveau du premier cycle supérieur (T.S, Ingénieurs d'application ou trois ans d'études supérieures), on compte 43,5 % d'analphabètes et 18,6 % de niveau primaire assimilables pour majorité à ces derniers. A titre indicatif, les U.S.A. comptent près de 2 % de la population occupée rien qu'en ingénieurs, de même que le Danemark, ce niveau de qualification ne représentant en Algérie que 0,40 % de la population occupée. Il est vrai toutefois que l'évaluation de la qualification professionnelle doit dépasser ce seul aspect de la formation scolaire (académique) pour intégrer les acquisitions par la formation en entreprise et l'expérienceprofessionnelle.
-- L'inadéquation des profils de qualification et des profils d'emplois exigés. C'est une situation qui a pour conséquence de présenter un phénomène paradoxal avec d'une part, des emplois vacants constituant une offre d'emploi (bien faible par ailleurs, s'adressant aux qualifications très élevées) et qui restent en l'état vu l'absence des profils demandés, et d'autre part des demandeurs d'emplois en chômage en raison de la saturation de l'emploi dans leurs spécialités de formation ou leurs qualifications (il y en a toujours une, théoriquement). Le plus paradoxal, étant donné ce qui précède, réside dans le chômage de ceux que l'on affuble de statut de «cadre», en raison de leur origine de l'enseignement supérieur et qui pâtissent, dans une certaine mesure, de l'occupation indue (du point de vue de la rationalité de la gestion) des postes de travail théoriquement prévus dans les organigrammes «à leur intention» mais occupés (pour des raisons diverses, parfois objectives) sans les critères prévus.
-- Un dispositif de formation professionnelle inadéquat ou insuffisamment performant. L'infrastructure pédagogique compte4, tous secteurs confondus, 446 établissements. A «ces capacités installées», considérées comme importantes dans le «programme du gouvernement pour l'emploi (Mars 90), on peut ajouter les capacités d'accueil des entreprises dans le cadre du dispositif de l'apprentissage. Ce sont, en outre, près de 6.000 enseignants, professeurs d'enseignement professionnel (PEP) ou spécialisés d'enseignement professionnel (P.S.E.P.) qui forment jusqu'à 253.000 personnes et sortent 81.700 diplômés en 89. Cependant, comme il est constaté dans le programme cité ci-dessus, «Cet appareil, dans son fonctionnement comme dans son organisation, présente de graves disfonctionnements...» Ce qui se confirme d'après l'effectif moyen de 568 stagiaires par établissement dans l'année, l'effectif des diplômés qui ne dépasse pas les 28 % en 89, et les déperditions de stagiaires, par abandon (14 % dans les C.F.P. et 18 % pour l'apprentissage)...
-- Une industrialisation quasi-mythique puisqu'en réalité très insuffisante ou faible. Le secteur juridique dit «public», d'envergure nationale qui a été l'objet de la stratégie dite de «l'industrie industrialisante» ne compte5 que quelques sept cents (700) usines et complexes de production (y compris la centaine d'unités industrielles du secteur de l'agriculture). A côté, on peut dénombrer environ cent cinquante (150) unités régionales de production. Quantitativement c'est le secteur de statut privé qui compte le plus d'unités (ou entreprises) de plus ou moins grande dimension avec deux mille (2.000) implantations réalisées en dépit d'une bureaucratie «économique» anti-privatiste sous couvert de socialisme collectiviste. Mais en matière d'emploi6, ce dernier secteur reste faible pourvoyeur avec à peine 200.000 emplois, soit 4 % de la population occupée dans l'industrie de fabrication. Occupant un mi1lion et demi de personnes environ, c'est surtout dans le BTP et l'agriculture, que cette population se concentre (respectivement 5,14 % et 12,45 % des employés du secteur). Qualitativement, les insuffisances de l'industrialisation se situent aussi, pour quelques unes d'entre elles, au niveau du faible taux d'intégration qui caractérise le tissu industriel avec l'absence d'une industrie de la matière première et de la pièce de rechange notamment, qui se traduit par la dépendance vis-à-vis du marché des importations dont l'effet en outre est de gonfler le centre de coûts que constituent les approvisionnements. Et par ailleurs, on peut compter parmi ces insuffisances qualitatives7, la sous-qualification professionnelle qui se traduit d'une part, par le manque de ce qu'on appelle «l'esprit industriel», et qui constitue un handicap économique de taille, tant il est vrai qu'une qualification professionnelle adéquate c'est, avec le savoir et le savoir faire... Le savoir-être ! qui relève, pour ainsi dire, de l'ordre « civilisationel », et d'autre part, par la faible performance ou l'incompétence dues à l'inadéquation des profils de qualification, déjà citée.
-- Une législation du travail, ou trop lourde et tatillonne (SGT) ou méconnue et insuffisamment assimilée et mise en œuvre (nouvelles lois sociales). Cette situation, souvent proche du «conflit des lois», empêche, en raison des nouvelles normes de gestion introduites, notamment la négociation collective, empêche la mise en œuvre de toutes les possibilités nouvellement instituées par la loi en matière d'emploi, telles que le travail à temps partiel, le travail à durée déterminée, le travail contractuel à domicile, etc.
-- Un chômage dangereux, tant du point de vue de son volume que de sa structuration, au-demeurant assez mal connue ou appréhendée. Un million deux cents mille (1.200.000) de «sans-emploi régulier» est un chiffre brutal qui, rapporté surtout à une population active déjà peu rassurante dont il représenterait 18 à 22 % (selon les sources), pèse considérablement sur le climat social. L'analyse traditionnelle montre que 75 % de ces chômeurs ont moins de 30 ans, donc jeunes, hommes essentiellement, dont le niveau d'instruction ne dépasse pas le cycle moyen de renseignement pour 92 % d'entre eux. Ce sont généralement des exclus du système scolaire, 70 % ne dépassant pas le niveau primaire, autant dire des analphabètes, à s'aviser que «les hébergés» de l'école ne brillent pas particulièrement par leurs connaissances à cause de la décrépitude de l'enseignement en général.
Le nombre des chômeurs est appelé à croître avec l'arrivée sur le marché de deux cent mille (200.000) nouveaux demandeurs d'emplois potentiels (croissance démographique oblige, que l'on ne manque pas bien entendu, de relever comme une des causes du chômage et de tous les autres maux sociaux)... A Suivre "Partie 2"
Notes
(1). EI-Watan du 29/07/91.
(2) - Selon informations à El Watan du 06/08/ 91.
(3) - Recencement population active 87 (ONS Déc.89).
(4) - Selon administration centrale de la F.P.(bcpchure FP 1989.
(5) - Décompte personnel.
(6) - ONS / 89 (op.déjà cité)
(7) - On peut y inclure le très faible -niveau de l'activité de recherche que connaît l'industrie.
(8) - A. IGUEMAT (quotidien d'Algérie 111 01/92).
(9) -Idem
(10) - Programme du gouvernement.